Pour la septième fois en dix mois, la Banque centrale européenne a décidé d’intervenir. Le 17 avril, son taux de dépôt a été abaissé de 25 points de base, pour s’établir à 2,25 %. Ce niveau, encore inimaginable à la même époque un an plus tôt, n’est désormais plus considéré comme pénalisant pour l’économie. Dans un contexte miné par une guerre commerciale transatlantique, la BCE tente de reprendre la main.
Depuis juin 2024, l’institution présidée par Christine Lagarde a inversé le cycle de resserrement monétaire enclenché au lendemain de l’invasion russe en Ukraine. Mais cette fois, ce ne sont ni les chocs énergétiques, ni les tensions budgétaires en zone euro qui motivent ce nouvel assouplissement. C’est Washington.
Au début d’avril, Donald Trump a ravivé la menace protectionniste. Une salve de droits de douane « réciproques » a été imposée à tous les partenaires commerciaux des États-Unis : 10 % sur la totalité des importations, jusqu’à 145 % sur la Chine. L’Europe n’est pas épargnée. Les voitures européennes sont taxées à hauteur de 25 %. Les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques sont dans le viseur. Une pause de 90 jours a bien été annoncée pour les surtaxes supérieures à 10 % hors Chine, mais elle ne rassure personne.
Depuis Francfort, la BCE observe l’escalade. Elle ne parle plus d’inflation. Elle parle de stabilité financière. « Le commerce mondial ralentit, la confiance s’érode, les perspectives de croissance se détériorent », indique son communiqué. Derrière la prudence lexicale, une inquiétude palpable.
Les mots de Ngozi Okonjo-Iweala, la directrice de l’Organisation mondiale du commerce, sont plus directs : les décisions de Donald Trump pourraient avoir de « sévères conséquences négatives ». La BCE, elle, refuse de se projeter. Les prochaines décisions seront prises « réunion par réunion », en fonction des « données disponibles ».
Mais les observateurs, eux, n’attendent pas. Ils anticipent déjà une nouvelle baisse, avec un taux de dépôt ramené à 1,75 % dans les mois à venir. La machine européenne ralentit. La consommation fléchit. L’investissement se tend. Et dans l’ombre, la peur d’un effet domino – comme celui de 2008 – ressurgit.
En mars, lors de leur dernière réunion, les gouverneurs de la BCE envisageaient une pause. L’augmentation des budgets militaires, le plan de relance allemand, les frémissements de croissance laissaient entrevoir un rebond. Mais l’explosion commerciale venue des États-Unis a tout balayé. Plus question d’attendre les prévisions de juin : il fallait agir. Vite.
Côté américain, la stratégie semble assumée. Donald Trump s’en prend à la Fed, l’accusant de traîner des pieds. Jerome Powell prévient : ces droits de douane feront grimper temporairement l’inflation. Mais à court terme, ce sont les marchés qui souffrent. Le dollar recule, les bons du Trésor américain s’envolent, la volatilité domine.
Pour la BCE, le temps de la prudence est révolu. « Nous restons prêts à intervenir si nécessaire », a déclaré Christine Lagarde à Varsovie, en marge d’une réunion des ministres des finances. Le spectre de la déflation rôde. L’histoire de 2008, puis celle de la crise des dettes souveraines, plane sur les têtes.
La désinflation progresse pourtant. À 2,2 %, l’indice des prix se rapproche de l’objectif. Mais l’économie réelle, elle, vacille. Et la BCE, qui avait mis des années à sortir de l’ère des taux négatifs, s’apprête à replonger dans une politique monétaire de gestion de crise.