Mardi 31 octobre, une enquête rendue publique par les ONG Data for Good et Eclaircies a mis en lumière les acteurs derrière 425 sites d’exploitations fossiles aux émissions de CO₂ désastreuses.
C’est quoi une bombe carbone ?
Le nom de l’enquête, CarbonBombs.org, désigne un projet d’extraction de combustibles fossiles (comme le pétrole, le gaz ou le charbon) qui présente un potentiel extrêmement élevé d’émissions de CO₂ lorsque ces combustibles sont brûlés. Ces projets sont considérés comme particulièrement préoccupants en raison de l’ampleur de leurs réserves connues et de leur capacité à contribuer de manière significative au réchauffement climatique.
L’expression « bombe carbone » souligne l’impact dévastateur de ces projets sur le changement climatique, car les quantités massives de CO₂ qu’ils libéreraient dans l’atmosphère freinent la lutte contre le changement climatique, qui exige de réduire les émissions de CO₂.
Cette enquête, CarbonBombs.org, se base notamment sur une étude de Kjell Kühne, un chercheur allemand qui a listé les 425 projets d’extraction de combustibles fossiles. Publiée en 2022, cette étude a permis de faire annuler 3 projets considérés comme « bombe carbone ».
Un projet désigné comme bombe carbone rejetterait potentiellement plus de 1 gigatonne de CO₂ sur l’ensemble de sa période d’activité estimée. Le calcul des émissions potentielles des sites en projet et des projets en exploitation repose sur une méthodologie spécifique que vous pouvez retrouver ici. Pour les projets déjà en exploitation, les émissions potentielles sont déterminées en se basant sur les émissions directes de CO₂ résultant de la combustion des fossiles concernés. Ces émissions directes sont calculées en utilisant les facteurs d’émission moyens établis par le GIEC. Pour les sites en projet, les émissions potentielles sont estimées en se basant sur les réserves attendues pour ces futurs projets. Les facteurs d’émission moyens du GIEC sont également utilisés pour estimer les émissions directes de CO₂ qui résulteront de la combustion des fossiles prévus pour ces projets.
Quel impact sur le réchauffement climatique ?
Actuellement, il y a 422 projets liés à l’extraction de combustibles fossiles. Parmi ceux-ci, 294 sont déjà en exploitation, tandis que 128 sont encore en phase de projet. Les 294 projets actuellement en exploitation, souvent qualifiés de « bombes carbone », ont le potentiel de dégager 880 gigatonnes de CO₂ au cours de leur période d’activité. De plus, les 128 projets en phase de projet pourraient ajouter 300 gigatonnes supplémentaires de CO₂ à ces émissions, totalisant ainsi 1180 gigatonnes de CO₂ rejetées dans l’atmosphère.
Ces chiffres montrent que les émissions potentielles de ces projets, sur leur durée d’exploitation estimée, pourraient avoir des conséquences dévastatrices pour la planète. Pour mettre cela en perspective, afin de respecter l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, comme le préconisent les accords de Paris en 2015, il ne reste à la planète qu’un « budget carbone » de 500 gigatonnes de CO₂ à émettre, selon le dernier rapport du GIEC. Les entreprises qui entreprennent ces projets ne semblent pas prendre en compte cette limite. Pour comparaison, l’ensemble de l’activité humaine a émis 37 gigatonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère l’année dernière.
Même dans un scénario de réchauffement à 2 °C, les émissions potentielles de ces « bombes carbone » épuisent totalement le budget restant de 1150 gigatonnes de CO₂. Il convient de noter que cela ne prend pas en compte les milliers d’autres projets d’extraction de combustibles fossiles, de taille plus modeste, dont les émissions cumulées de CO₂ pourraient être encore plus élevées.
L’exploitation potentielle de ces projets compromet gravement les objectifs environnementaux visant à limiter le réchauffement climatique à 2 °C. En 2018, il était estimé qu’une réduction annuelle des émissions de gaz à effet de serre de 5 % était nécessaire pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. En 2020, en raison des confinements liés à la pandémie, ce taux de réduction nécessaire est passé à 6 % par an. Cependant, avec la croissance continue de la production de combustibles fossiles, il est prévu qu’en 2025, une réduction de 10 % par an sera nécessaire pour espérer atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
Ainsi, ces projets pourraient mettre fin aux ambitions d’un monde neutre en carbone. Ces installations ont parfois une longévité qui permettrait de produire jusqu’au début du prochain siècle, alors que ces projets ne sont pas nécessaires pour répondre aux besoins mondiaux en énergie selon l’Agence internationale de l’énergie.
Qui est responsable de ces projets ?
Les ONG qui ont lancé l’initiative CarbonBombs.org ont entrepris une analyse en croisant plusieurs bases de données publiques, afin de mettre en lumière les liens entre les « bombes carbone », les entreprises qui les exploitent et les institutions bancaires qui les financent.
Ces « bombes carbone » se trouvent réparties sur tous les continents, mais il est important de noter que la moitié d’entre elles est concentrée dans trois pays : la Chine, la Russie et les États-Unis. Ces pays délivrent des autorisations d’exploitation aux entreprises qui dirigent ces projets.
Parmi les cinq entreprises en tête dans l’exploitation du plus grand nombre de projets « bombes carbone », on retrouve deux grandes entreprises chinoises, à savoir China Energy Investment Corp et HKSCC Nominees Limited, ainsi que la société saoudienne Saudi Arabian Oil Company (Saudi Aramco), la firme française Total Energies et l’entreprise américaine Exxon Mobil Corp.
Du côté des banques qui soutiennent ces projets, on peut notamment citer des banques américaines telles que JPMorgan et Citi Bank, des banques françaises comme BNP Paribas et le Crédit Agricole, ainsi que des banques chinoises telles que la Bank of China, l’ICBC et la China CITIC Bank.
Il est donc évident qu’une multitude d’acteurs joue un rôle clé dans la réalisation de ces projets. Outre les entreprises exploitantes et les banques, d’autres intervenants sont également impliqués. Les compagnies d’assurance jouent un rôle en assurant ces projets. De plus, les cabinets de conseil apportent leur expertise et leur soutien à de nombreuses étapes du processus. Enfin, les entreprises de construction et d’ingénierie qui concrétisent ces projets sont également des maillons essentiels de cette chaîne. Il est important de noter que, malgré certaines déclarations en faveur de l’écologie, de nombreux acteurs ne se sont pas encore engagés de manière substantielle dans des actions concrètes en ce sens.